Dans un paysage où près d’une centaine de SDIS exploitaient encore dix systèmes de gestion d’alerte (SGA) et vingt-cinq solutions d’aide à la décision, l’idée d’un SI unifié est devenue centrale après les attentats de 2015. Lancé par le décret 2019-19, le programme NexSIS 18-112 répond à un double impératif : moderniser la prise d’appel 18/112 et garantir une vision opérationnelle partagée du CODIS au COGIC.
Depuis la phase de conception agile débutée fin 2019, le périmètre fonctionnel n’a cessé de s’enrichir : traitement multicanal (voix-IP, SMS, eCall, réseaux sociaux) et partage instantané de photos/vidéos. L’intégration native d’AML permet déjà une géolocalisation automatique du requérant sur smartphone – un gain de 30 s en moyenne selon l’ANSC.
Un budget revu à la hausse mais générateur d’économies structurelles
Initialement chiffré à 52,7 M€ pour un prototype sur quatre ans, le programme affiche désormais 300 M€ sur 2018-2031, maintenance opérationnelle comprise. L’actualisation actée dans le PLF 2025 prend en compte la montée en puissance du cloud ministériel et le raccordement des 99 SIS.
Selon la Commission des finances du Sénat, cette dépense reste inférieure aux 600 M€ qu’auraient coûté, sur dix ans, la maintenance des applicatifs hétérogènes actuels. Les gains attendus – mutualisation des licences, diminution des interfaces tierces, achats groupés – sont estimés à 12,4 M€/an dès 2027, soit un retour sur investissement en huit ans.
Architecture fonctionnelle : quatre briques, un cloud souverain
Le socle logiciel s’organise autour de quatre modules : SGA (alertes), SGO (opérations), SGE (échanges inter-services) et SGC (gestion de crise). Tous s’appuient sur un data-lake métier (SGI) et un SIG web exploitant la BD Topo et les couches IGN « Defense » pour la cartographie tactique.
Techniquement, la plateforme repose sur des micro-services conteneurisés (Kubernetes DINUM – cloud interne « Nubo ») avec sécurisation ANSSI de niveau OIV. Un bus temps réel (Kafka) alimente tableaux de bord PowerBI et exports CEREMA pour la statistique ATLAS-SIS. Les flux ANTARES sont encapsulés en IP avec chiffrement AES-256. (informations techniques issues des dossiers de l’ANSC et des ateliers SDIS, non publiés)
Des pilotes opérationnels riches d’enseignements
Premier département volontaire de catégorie A, le SDIS 83 affiche après un an : 500 000 appels traités et 120 000 opérations engagées, sans retour en arrière vers l’ancien système SCALA. Les retours utilisateurs soulignent la disparition de la double saisie et la cartographie intégrée en pré-itinéraire.
En Île-de-France, le SDIS 77 a multiplié les « mises à l’épreuve du réel » : d’une séance de 2 h en juin 2024 à un basculement complet de 48 h fin décembre. Cette montée en charge progressive, doublée d’une astreinte fonctionnelle et technique, a abouti à la mise en production pérenne le 6 janvier 2025.
Interopérabilité 360° : du CTA-CODIS au SAMU en live
La connexion temps réel NexSIS ↔ ANTARES permet le suivi des statuts engins, tandis qu’un connecteur HL7 pilote désormais les échanges SAMU 77-SDIS 77 : la première passerelle SAMU-SDIS compatible NexSIS. À terme, le bus SGE exposera une API unifiée pour la police, la gendarmerie, les PC ORSEC de zone et les outils des Préfectures (CRISTAL).
Pour les citoyens, des applications grand public sont prévues : bouton d’alerte dans FR-Alert, visio-guidage en compression thoracique et feed-back qualimétrique post-intervention. L’ANSC mène en 2025 un POC avec le SDIS 31 sur la détection automatisée de chute via Health-Kit et l’ouverture de flux vidéo drônes.
Enjeux 2025-2028 : cybersécurité, conduite du changement et JO 2028
Le défi cyber reste majeur : l’ANSSI classe NexSIS dans les SI d’importance vitale (SIV). Une homologation SecNumCloud est exigée pour chaque région de backup. Parallèlement, la formation – près de 30 000 utilisateurs finaux – mobilise un budget de 9 M€ et un réseau de 400 « formateurs référents ». Les J.O. d’hiver 2028 à Grenoble serviront de test « pleine charge » avant le passage en « mode nominal France entière » programmé pour 2029.
En synthèse, NexSIS 18-112 n’est plus un simple projet informatique : c’est une réforme structurelle qui rebat les cartes de l’alerte, de l’engagement opérationnel et de la gouvernance data des SDIS. Avec un budget désormais stabilisé et des pilotes concluants, l’enjeu se déplace vers l’accompagnement humain et l’intégration inter-services – condition sine qua non pour que la « plate-forme des secours » tienne toutes ses promesses à l’échelle nationale.